Préférer Jésus à tout
«Pour moi, être aimé n’est rien, c’est être préféré que je désire», écrivait André Gide à Paul Valéry. Le romancier et essayiste protestant connaissait bien l’Évangile. Il reprenait sur le registre amical la folle exigence de Jésus, conscient du caractère provocateur de sa formulation.
En effet la provocation vient bien de Jésus. Exiger de ceux qui veulent le suivre de tout laisser, personnes et biens (évangile), relève de la folie ou de l’utopie. Qui peut réaliser ce programme, à part quelques «fous de Dieu»? D’autant qu’il est en contradiction avec le 4e commandement, « Tu honoreras ton père et ta mère. » Dans le livre des Actes des Apôtres, Luc montrera qu’on peut être chrétien et garder des liens avec femmes et enfants (cf. Ac 21, 8-9).
Pourtant Jésus est clair: sur la route de Jérusalem, marchant vers sa Passion, il se retourne pour parler à la foule qui l’accompagne. À ceux qui veulent le suivre, il parle avec autorité, en maître de sagesse, comme la Sagesse même de Dieu (première lecture). Il les met en garde, les invite à réfléchir en toute liberté avant de s’engager derrière lui, car il s’agit rien moins que de porter sa croix avec lui: folie de Dieu plus sage que la sagesse des hommes! (cf1 Co 1,25). Les deux paraboles ont une fonction didactique: aider chacun à évaluer les chances de succès avant de se lancer dans une opération difficile, voire impossible.
La lettre à Philémon (deuxième lecture), chef-d’œuvre de diplomatie et modèle d’attitude pastorale, révèle Paul comme un homme soucieux de respecter la liberté de son interlocuteur qu’il invite à affranchir son esclave fugitif (donc passible de mort) et à voir en lui un frère puisqu’il est devenu chrétien. Le cas de conscience auquel Philémon est confronté est un bel exemple de tension entre l’exigence nécessaire pour être disciple de Jésus et la réalité d’une situation concrète à gérer.
Seule la Sagesse de Dieu reçue avec humilité comme un don de l’Esprit (psaume) permet de vivre la tension vers un idéal qui peut paraître inatteignable. Car «rien n’est impossible à Dieu», puisqu’il se donne.